Sur le comment du pourquoi de l’intolérance
This dialogue is a piece of fiction. A conversation I imagined between two communications professionals within the Quebec government, attempting to write a memo to the state of New York about the refugees streaming into Canada via Roxham Road without sounding like racist assholes. In the end it doesn’t work. You can’t ask for fewer refugees without sounding like an intolerant jerk because only intolerant (and cheap) jerks think welcoming human beings who need help is a net negative.
On est dans le bureau de l’attachée de presse ministérielle, Sophie T., qui a déjà la tête ailleurs, un ailleurs qui fleure bon le weekend en amoureux qui devra malheureusement être remis à plus tard — encore une fois. Avec elle, Martin L., préposé aux communications avec plus d’années d’études que d’expérience et qui pense tout savoir.
Une tache à marde, comme le disent si bien les natifs de Québec.
—Faque on leur dit ça comment, aux Américains, qu’ils nous font chier?
—Ce n’est pas bien diplomatique.
—Je le sais, Martin. Mais des fois ça fait du bien de se défouler un peu avant d’écrire. Ça nous sauve quelques révisions. Tu verras, quand tu prendras plus d’expérience, que de laisser sortir un peu de pression avant de taper un communiqué, c’est bien utile.
Il avait l’air plutôt dubitatif. Comme si on lui demandait d’accepter de couronner Céline Dion reine du patrimoine culturel mondial.
—Mais quand même, on ne peut pas tolérer que l’état de New York finance l’arrivée de réfugiés ici. Ce n’est pas correct. Il ne s’agit pas de bétail mais d’êtres humains.
—Comment veux-tu leur dire ça?
— Quelque chose comme, “nous vous demandons de cesser le financement de convois de réfugiés jusqu’à la frontière du Québec”?
—Du Canada?
—Pardon?
—Le Québec n’a pas de frontière, au sens propre du terme. Tu vas te faire ramasser par les fédéralistes pis les pointilleux de la virgule si tu utilises ça.
—Non, je ne pense pas que ce sera le cas.
—Je te garantis que si. Utilise plutôt Roxham Road. Ils vont mieux comprendre, les Américains.
—Y a-t-il quelqu’un qui sache c’est où, au fait, Roxham Road?
Les deux échangèrent un regard lourd de consequences.
—Utilise ça. Nous vous demandons de cesser le financement de convois de réfugiés jusqu’à Roxham Road.
—Et puis s’ils disent non?
—C’est sûr et certain qu’ils vont dire non.
Martin semblait tout d’un coup pris d’une violente envie de tousser.
—On s’en crisse, OK? L’important, c’est de faire notre job comme du monde et d’envoyer ce communiqué au plus sacrant avant que les politiciens disent une autre niaiserie.
—OK, OK.
—Je pense qu’on a la bonne formule.
Martin, distrait un moment par son portable, tourne le visage vers sa boss avec des yeux qui commencent à montrer du glauque.
—Le chef conservateur à Ottawa vient de demander la fermeture du chemin Roxham.
—Qu’est-ce que je te disais? Maudit qu’ils sont fatigants, pareil.
—Ça ne nous aide pas?
—Ben non! Au début les gens penseront, ouais, peut-être qu’on devrait contrôler l’entrée illégale de milliers de personnes un peu mieux, mais c’est toujours une mauvaise piste à suivre, si tu me passes le jeu de mots douteux.
—Pourquoi?
—Parce que d’abord, c’est déjà une traverse illégale. C’est pour ça que les réfugiés l’utilisent. S’ils entraient par le poste frontière, ils ne bénéficieraient pas des mêmes règles.
—C’est compliqué.
—C’est sûr.
—J’ai une autre question.
—Puisqu’il le faut.
—Ça ne nous dérange pas d’entendre les ministres dire que notre capacité d’accueil au Québec est atteinte?
—Euh, pas vraiment, pourquoi?
—On dirait qu’on se prend pour un club.
—Ben non, nono. Mais on ne peut quand même pas accepter que tout le monde sur la planète demande l’asile politique ici.
—Pourquoi pas?
—Ben voyons, on manque déjà de ressources pour s’occuper convenablement de notre monde.
—C’est pas notre monde aussi, ces humains dans le besoin?
—Cout’donc, t’es-tu catho, toi?
—Oh que non. Les catholiques au Québec sont bien trop intolérants pour moi.
—Si tu le dis.
—Mais je suis l’arrière-petit-fils d’un réfugié qui s’est pointé ici sans papiers, sans argent, sans rien du tout, qui ne parlait pas français et qui n’était pas non plus catholique ni même chrétien. Je n’existerais pas si on ne l’avait pas accueilli ici.
—C’est pas la même chose.
—Ah non? Et comment t’expliques la difference?
—Ben, sûrement que ton ancêtre avait une éducation ou des talents en demande?
— Il avait une moitié de quatrième année. Il était bricoleur mais sans diplôme. Très travaillant par contre. Il a construit la maison ancestrale de ses propres mains.
—Ben voilà. C’est ça la difference. Ton ancêtre était travaillant.
—Ceux qui arrivent ici le sont aussi, je te gage.
—C’est pas ce qu’on entend.
—Et d’où prennent-ils cette information, ceux qui te disent de telles bêtises? Est-ce qu’ils le savent, eux, il est où le chemin Roxham?
—Il faudrait bien finir d’écrire ce communiqué si on veut essayer de réchapper la fin de semaine. Disons-leur, aux Américains, qu’il faut maintenant envoyer leurs réfugiés en Ontario, pas au Québec.
—Pourquoi, ils ont plus de coeur, en Ontario?
—Ben non, franchement. Dis pas ça.
—C’est difficile en maudit de passer un message comme ça sans avoir l’air de trous du cul racistes.
—Heille, c’est qui que tu traites de raciste, toi-là?
—Relaxe. Je ne vise personne en particulier. Je vise tout le monde en général. Je ne comprends pas comment on peut être contre l’aide humanitaire pour des gens qui sont, de toute évidence, dans le besoin.
—Ils peuvent rester aux États-Unis.
—Et se faire traiter comme de la marde par les républicains? Franchement, t’aimerais ça, toi?
—C’est sans doute mieux que d’où ils viennent.
—Si tu le dis.
—T’es pas d’accord?
—Ce n’est pas à moi de trancher cette question. Il me semble que quand des réfugiés qui se trouvent déjà aux États-Unis et qui pourraient y rester, décident à la place de se rendre jusqu’au Québec, que c’est eux qui disent que l’option américaine n’est pas, en fait, beaucoup mieux que l’endroit qu’ils ont fui pour des gens sans statut surtout s’ils ont la peau foncée. Il me semble qu’on devrait les écouter.
Le dialogue que vous venez de lire est, bien entendu, une oeuvre de fiction. Jamais au grand jamais verrait-on des attachés politiques être aussi présents et songés dans la composition de communiqués à l’usage de politiciens.
Mais dans le fond, ce qui m’embête plus que tout, c’est que pratiquement personne ne prenne le temps de se demander pourquoi ils considèrent l’aide à des gens dans le besoin comme une dépense, quelque chose de négatif, quand en fait il s’agit d’une action humaine avant tout, et économiquement rentable à long terme itou.
On est bien myope quand on oublie de regarder plus loin que le bout de notre nez.